11 Avr [Points de Vues] Photographie & Industrie – Épisode 4 – Delphine Greco
Points de Vue :
Une série d’interviews sur différents sujets qui lient photographie et industrie : attractivité, ré-industrialisation, imaginaire collectif, dynamiques actuelles, marque employeur…
Pour ce 4ème épisode, rencontre avec Delphine Greco
Photo ci-dessus : Reportages-Metiers.fr pour Anamnèse – Photo de bandeau : Reportages-Metiers.fr pour Poncin Métal
- Bonjour Delphine, peux-tu te présenter rapidement ?
Je m’appelle Delphine Gréco, je suis déléguée général de la Fondation ILYSE – Industrie LYon Saint-Etienne. Une jeune fondation dont l’ambition est de faire évoluer les perceptions autour de l’industrie par le développement de formats de médiation visant à recréer un lien de proximité entre habitants et acteurs industriels locaux. J’ai investi ce projet car, comme souvent dans mon parcours, j’ai été séduite par le défi de le construire dès sa création. Et de mettre mon expertise en fundraising et en développement de partenariats public – privé au service d’une problématique qui n’avait jusqu’alors, jamais été posée en cause d’intérêt général. Et pourtant, l’industrie, à bien y regarder, est définitivement essentielle à nos quotidiens, ainsi qu’aux enjeux de transitions auxquels nous devons faire face.
Crédit photo ci-dessus : ILYSE
- Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur la Fondation ILYSE (Industrie LYon Saint-Etienne), sa vision et ses projets ?
Ilyse, est fondation assez récente puisqu’elle a été lancée en septembre 2021 à l’occasion du salon Global Industrie à Lyon. Elle est née de l’ambition partagée de deux territoires, les métropoles de Lyon et de Saint-Etienne, d’apporter une réponse locale à l’enjeu national de voir renaître notre industrie.
Le constat initial étant le suivant : pour redéployer le tissu productif à l’échelle locale, il faut avant tout redonner envie d’industrie aux habitants de nos métropoles. Autre constat : l’image dégradée et désuète des activités industrielles a besoin d’être réhabilitée dans ses réalités, et en proximité immédiate à l’échelle des bassins de vie. Il est par ailleurs vital de remettre au cœur de la conscience collective le caractère essentiel de l’industrie, de ses productions, de ses savoir-faire sur nos territoires. Un enseignement tiré de la crise COVID que nous ne devons pas oublier… Par ailleurs, l’industrie joue un rôle majeur dans notre capacité à opérer la transition durable de nos économies et de nos sociétés. Au-delà de l’importance de préserver nos emplois, produire local, c’est produire de manière plus vertueuse qu’à l’autre bout de la planète. C’est aussi engager toutes les parties prenantes à intensifier la prise de conscience, les efforts à transformer nos productions et à consommer de manière plus responsable. D’où la volonté de proposer un objet unique et atypique : une fondation qui porte l’industrie locale en cause d’intérêt général.
Pour réussir ce pari, les métropoles de Lyon et de Saint-Etienne se sont entourées de partenaires fondateurs. Les UIMM de Lyon et de Loire qui représentent la voie des industriels. Le Rectorat et l’Université de Lyon, celle de la formation, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ilyse est abritée par la Fondation Innovation et Transitions, un acteur de référence dans la mise en synergie des pouvoirs publics et privés en faveur du progrès sur nos territoires. Également, depuis près d’un an, notre Comité Stratégique s’est développé avec d’autres organisations et entreprises mécènes qui nous permettent d’étayer notre action vers des problématiques qui ne sont pas (ou trop peu) investies par les acteurs de la médiation.
Car c’est justement la médiation qu’Ilyse propose en solution. Faire médiation c’est opérer un format qui permet de recréer un lien de proximité entre des acteurs qui appartiennent à des environnements qui ne se côtoient pas nécessairement. Nous appelons ce dénominateur commun à de nombreux acteurs déjà opérants. Et nous les invitons à orienter leur savoir-faire en réponse à nos appels à projets qui touchent à des problématiques liées à l’industrie et l’emploi, la reconversion des actifs ; la féminisation ; l’orientation, la formation des jeunes ; ou encore à la culture industrielle que nous avons à cœur de développer.
Les lauréats de nos appels à projets font ainsi le pari, avec Ilyse, de massifier et d’essaimer leurs solutions sur nos territoires. Non contents de leur attribuer des financements, nous soutenons les lauréats de nos appels dans l’atteinte de leurs objectifs dans le cadre d’un programme de parrainage qui dure 2 ans. A 3 ans d’action, Ilyse a publié 3 appels à projets et retenu 10 projets lauréats pour une dotation globale supérieure à 800K€.
- En tant que photographe spécialisé dans l’industrie, je m’interroge sur les changements qui sont en train de prendre place dans le secteur, notamment autour de l’image de l’industrie, quel est ton avis sur le sujet ?
Tout d’abord, le mot « industrie » est un mot valise. Il désigne une diversité importante d’activités, d’environnements et de réalités. Véhiculer une image juste de l’industrie dans toute sa pluralité n’est donc pas chose aisée. En règle générale, on constate que la plupart des gens qui n’ont pas de lien avec l’industrie en ont une perception soit floue, soit dévalorisante.
C’est une expérience que nous avons menée encore récemment lors d’une opération de médiation industrielle adressée à des publics féminins à l’occasion de la Journée internationale des droits de la femme. Il s’agissait de faire découvrir de manière ludique les métiers de technicienne de maintenance, de bureau d’étude ou encore d’électricienne en environnement industriel. Nous avons demandé aux participantes de nous livrer 3 mots qui représentaient pour elles l’industrie avant et après l’atelier. L’évolution est flagrante ! Avant, pour celles qui n’avaient aucune attache ou expérience avec le monde industriel, ce dernier évoquait tout ce qui se voit de l’extérieur (bâtiment, électricité…). Après l’activité, les mots posés sur l’industrie relevaient davantage des qualités que les métiers, même en jouant, permettaient d’exprimer : la réflexion, la minutie, la persévérance…
Faire médiation change donc bien les perceptions, l’image que l’on se fait de l’industrie au sens large. Un enjeu majeur car nous héritons de plusieurs décennies d’un contexte productif dégradé, délocalisé, à l’origine de souffrances sociales dont on ravive systématiquement le souvenir dans les livres d’histoire, dans les récits culturels au cinéma ou dans la littérature, dans les musées ou encore sur les réseaux sociaux… Il ne s’agit pas de renier son passé. Ce qui est fait est fait. Mais nous devons nous attacher maintenant à aller de l’avant, à ne pas rester figés dans ce passif qui nous détourne de nouveaux récits industriels actuels dont on peut tirer une fierté collective bien réelle.
J’aimerais que l’histoire n’oublie pas de faire le lien avec le présent, et de démontrer que les périodes les moins fastueuses nous ont aussi légué un héritage positif. Ce qui est encourageant c’est que grâce à l’impulsion des politiques publiques en faveur de l’industrie, on voit se multiplier ça et là des initiatives qui vont dans ce sens. Je salue l’exposition permanente « Qu’est-ce que tu fabriques ? » du Musée d’Histoire de Lyon, ou encore les collections du Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Etienne qui, au-delà du récit historique, cultivent aussi le lien avec les entreprises qui perpétuent ces savoir-faire encore aujourd’hui. Nous y avons d’ailleurs mené nos lauréats de l’appel à projets sur la culture industrielle « Savoir-faire d’hier et d’aujourd’hui pour mieux produire demain ».
Pour faire le lien avec la photographie en milieu industriel, je pense qu’il serait intéressant qu’elle s’attache à valoriser les qualités humaines propres à ces milieux, quels que soient les postes. Pour moi, il y en a une qui ressort : le goût du travail bien fait ! Les environnements industriels sont très normés, chacun participe, à sa mesure, à une grande chaîne de valeur où chaque maillon conditionne le suivant. Les personnes qui s’épanouissent dans l’industrie trouvent souvent sens et satisfaction à exécuter leurs tâches avec un niveau d’exigence certain. Un point en commun avec l’artisanat d’art qui lie l’intelligence du geste à l’exigence intellectuelle de livrer un travail de qualité. Peut-être un parallèle photographique à explorer ?
- On parle d’imaginaire collectif à recréer autour de l’industrie, les choses bougent dans le bon sens mais encore trop peu d’entreprises franchissent le pas de mettre de vraies images sur leur métiers. On trouve effectivement beaucoup de banques d’image stéréotypées et dépourvues de sens, ou de photos vieillissantes, d’après toi, qu’est ce qui peut freiner cette distance avec la transparence et la modernité dont l’industrie a besoin ?
La seule volonté des milieux industriels à s’ouvrir à minima aux publics externes ! C’est un frein culturel fort car le « secret industriel » contraint ces environnements à se cacher, à se retrancher du monde extérieur. Autre élément : le rapport au temps long. Là encore, culturellement, le rapport au temps rythmé par les ordres de production, s’inscrit majoritairement dans le court terme. Un rythme qui ne laisse que trop peu d’espace à des sujets jugés secondaires, tels que la visibilité, la communication, bien qu’ils soient, in fine, à forte valeur ajoutée aussi. A mon sens ces deux marqueurs peuvent expliquer en partie, la moindre attractivité spontanée de ces filières, et les difficultés de recrutement actuelles.
Mais là encore on voit que les choses bougent. Les entreprises industrielles s’investissent et investissent dans leur marque employeur, multiplient l’accueil d’apprenants, de professeurs et autres publics externes… Elles engagent aussi leurs collaborateurs à être acteurs de ces démarches, encouragées par l’exigence d’animer leur politique RSE pour qu’elle ne demeure pas un simple vœu pieu.
Cependant, tel Monsieur Jourdain, ces industriels « disent de la prose depuis longtemps mais sans le savoir » ou sans vouloir le faire savoir… Or la mise en visibilité de leur démarche est presque aussi importante que la mise en œuvre de leurs actions. C’est donc une marge de progrès conséquente pour eux. Ainsi la Fondation ILYSE s’attache à valoriser les initiatives de médiation portées par nos projets lauréats en lien avec les industriels du territoire. Et la photo tient une place importante dans ces communications. Loin des banques d’images, les photos prises sur le fait, même imparfaites, traduisent la réalité des opérations et véhiculent une représentation actualisée et actuelle de l’industrie locale.
La « photo-réalité » pourrait aussi être davantage exploitée à des fins de recrutement pour illustrer les postes à pourvoir, surtout sur des métiers en tension, voire en risque d’extinction. Accompagnés de verbatims de collaborateurs en témoignage de ce qu’ils valorisent dans leur métier ; ces travaux photographiques permettraient de documenter ces savoir-faire, et inviteraient des candidats potentiels à mieux se projeter sur ces fonctions.
Crédits photos ci-dessus : Reportages-Metiers.fr pour la SARE
- Les territoires et les collectivités jouent un rôle important dans la valorisation des industries, d’après toi, quel maillon de la chaine est-il nécessaire de renforcer pour favoriser l’attractivité des territoires et de ses industries ?
Chez Ilyse, nous pensons que l’industrie est l’affaire de tous ! C’est la raison pour laquelle notre gouvernance, nos cercles de partenaires sont constitués d’acteurs issus d’horizons très divers : territoires, formation, emploi, culture, acteurs de la médiation, de l’orientation… et industriels surtout, bien sûr ! Tous ont une forte volonté et un dénominateur commun : agir en faveur de l’industrie locale.
Cette dynamique multi partenariale est aussi illustrée par la pluralité des sujets que nous investissons dans nos propositions d’appels à projets. Parce que nous croyons que le défi auquel nous sommes confrontés ne se réduit justement pas à l’attractivité, à la « promotion kakémono » des filières. Il ne relève pas non plus exclusivement de la formation, de l’emploi ou encore de l’orientation. Il s’agit d’un tout. Il s’agit de faire société autour de notre capacité à produire, à préserver et à développer nos savoir-faire industriels locaux. C’est la raison pour laquelle il faut engager une large cible, la plus large possible, de publics. Et impliquer les acteurs dans un travail collectif, au-delà de leurs intérêts particuliers. Des chapelles qui ont malheureusement encore la peau dure…
Chez Ilyse nous multiplions les opportunités de travailler en intelligence collective autour de notre cause. Que ce soit en idéation de nos propositions d’appels à projets, pour le parrainage des lauréats, pour l’animation des acteurs territoriaux de la médiation, ou encore avec notre gouvernance. C’est parce que nous portons la médiation en solution que nous engageons les parties prenantes à double sens : faire redécouvrir et évoluer les perceptions de l’industrie locale par les habitants, tout en encourageant les industriels à accélérer leurs transformations durables. Cela va de pair.
- Le secret professionnel de certaines entreprises est un sujet qui revient souvent mais qui peut facilement être contourné en photographie, notamment en faisant des choix artistiques permettant de ne montrer qu’une partie de la fabrication, de l’outil ou du geste. Est-ce que tu penses qu’il soit quand même pertinent de communiquer sur un savoir-faire protégé ?
Si on ne peut certainement pas dévoiler les atouts technologiques concurrentiels d’un savoir-faire industriel, on peut peut-être mettre en visibilité l’essence et l’histoire de ce dernier ?
Certaines entreprises, PME industrielles, investissent dans la mémoire de leur activité et organisent sa valorisation, sa transmission au travers d’espaces muséaux au sein de l’entreprise. En capitalisant sur leur histoire ils légitiment leur savoir-faire, voire leurs avancées technologiques aujourd’hui, et renforcent leur ancrage local en aménageant un espace accessible aux visiteurs externes.
C’est l’un des objectifs du projet M2CIA porté par l’Académie de l’aéronautique et du spatial qui vise notamment à accompagner des petites entreprises de la sous-traitance à ouvrir leurs portes au grand public. C’est aussi ce que les projets L’Industrie Magnifique ou encore Street Art en Industrie permettent de réaliser par des collaborations artistiques participatives.
- Connais-tu des outils ou dispositifs qui pourraient favoriser la création de ce nouvel imaginaire collectif pour les industriels ?
Premièrement nous avons certainement besoin de recourir à de multiples formats de médiation adressés à des publics variés. C’est la superposition et l’itération des expériences qui permettront de faire bouger les lignes.
Ensuite, je m’inscris en faux face au terme de « nouveaux imaginaires » parce que plutôt que de projeter des fantasmes, il faut livrer les clés de la réalité. Je dis souvent qu’il ne faut surtout pas céder à la tentation de « repeindre l’industrie en rose », mais de mettre en dialogue et en écoute les parties prenantes pour qu’elles s’approprient les univers respectifs. Nous n’avons pas besoin de « créer des imaginaires ». La réalité est bien plus intéressante ! Peut-être est-ce de susciter la curiosité qui est le plus difficile aujourd’hui.
Il ne faut pas avoir peur de cette proximité « dans le vrai », « dans le dur », qui démontre les côtés positifs des environnements productifs, mais aussi des réalités qui sont moins en adéquation avec les attentes des populations. Ces marges de progression sociales, environnementales sont autant de défis collectifs pour lesquels chacun peut apporter un bout de la solution. Le sens de notre message est que les activités industrielles sont essentielles, c’est un fait ! Et les entreprises industrielles sont aussi des organisations vivantes, qui se transforment. Mais elles ne peuvent opérer leurs transformations sans la participation des populations environnantes. D’où l’importance de s’intéresser à elles, de se former à leurs métiers et d’anticiper les évolutions attendues. Il ne peut plus il y avoir les usines d’un côté et les habitants de l’autre. Nous avons intérêt à reconnecter le productif au vivant, à l’habitant dans une relation symbiotique.
Pour revenir aux outils et dispositifs, les visites d’entreprises constituent à mon sens un élément socle. (voir offre dédiée en partenariat avec Savoir D’ici). J’aimerais par exemple qu’au-delà du label des Entreprises du Patrimoine Vivant, un véritable volet industriel soit inscrit dans la programmation des Journées du Patrimoine. Avec des visites qui permettent au grand public d’explorer l’histoire industrielle de notre territoire tout en appréhendant en quoi ces activités continuent aujourd’hui à concourir à nos besoins, à nos savoir-faire, à nos emplois et aux transformations durables de nos modes de vie.
- Le mot de la fin ?
Je pense que, quel que soit le format développé pour permettre aux populations de reprendre le sens de l’industrie sur notre territoire, nous devons nous attacher à démontrer combien ces activités productives sont essentielles à tout un chacun. Je formule le souhait que nous nous saisissions de l’enjeu collectivement ; et que la médiations soit un vecteur plus largement diffus auquel les industriels aussi soient formés, parce qu’ils sont certainement les mieux placés pour animer ce lien de proximité avec les populations locales.
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