Une journée avec un sanglier – L’artisan, pas l’animal

image métier du bois
reportage métier rural

Reportage photo "artisanat" dans le Jura

Dans le massif du Jura, quelques dizaines d’artisans pratiquent un métier peu connu au coeur des forêts d’épicéa.

Le sanglier, au-delà de l’animal que nous connaissons tous, est également le nom de ces artisans qui découpent de fines bandes d’épicéa, appelées sangles, qui entourent nos fromages, notamment le Mont d’Or. 

Un métier de l’ombre, remontant à trois générations pour la famille Salvi, qui fut dans les premières à travailler l’épicéa pour cet usage spécifique. D’abord bucherons, les Salvi , comme la majorités des sangliers, commencent à réaliser les premières sangles pour le fromage qui porte le nom de la montagne culminante de la région : Le Mont d’Or. En quelques dizaines d’années, la production de Mont d’Or passe du niveau local au niveau industriel. Elle est si grande que la demande de sangles prend le dessus sur le métier de bucheron et devient alors leur activité principale. Le métier de sanglier est né.

L’histoire raconte qu’à l’origine, certains bucherons faisaient également bergers sur la période d’été, et gardaient donc les bêtes sur le Mont d’Or.  En hiver, avec la neige, les bergers rentraient leurs bêtes et faisaient du lait, puis du fromage. Ayant le bois d’épicéa à portée de main, certains auraient commencé à s’en servir pour tenir leurs fromages et leur donner un goût unique.

portrait professionnelle Jura

Sur la cinquantaine de sangliers recensés en France, seulement une dizaine semble travailler sur cette activité à plein temps. Le Mont d’Or réalise une grosse partie de la demande en France mais d’autres appellations, locales ou non, utilisent les mêmes bandes d’épicéa pour cercler leurs fromages, offrant une diversité et un lissage de la demande sur le cours de l’année. Elie, le fils de Patrick Salvi, a repris l’activité en forêt il y a 11 ans suite à un accident survenu à son père il y a quelques années, et travaille désormais avec Brian, son beau-frère. Il partage : « Il n’y a pas que le Mont d’Or, et il n’y a pas que la saison hivernale, certains clients stockent ces sangles pour pouvoir produire et livrer tout l’année, ce qui nous permet de travailler de manière consistante quelle que soit la saison. »

A trente ans, Elie s’occupe de la production des sangles en forêt, pendant que ses parents sont à l’atelier. Quand je demande à Elie à quoi ressemble une journée type il me répond « C’est simple, on commence au lever du soleil, et on fait des sangles jusqu’au coucher du soleil. Sauf en été, car le soleil se lève très tôt, donc on termine un peu plus tôt car c’est quand même très physique physique. »

La première étape pour réaliser les sangles consiste à écorcer les troncs d’épicéa coupés par les bucherons, dont la plupart sont largement centenaires. Cette couche extérieure de l’écorce, aussi connu sous le nom de « yar », se retire grâce à une grande raclette, un outil « fait-maison », communément appelé plumette. Le mouvement longitudinal et répétitif semble facile mais le savoir faire du sanglier commence ici. En effet, la plumette doit retirer suffisamment de yar, mais ne pas entamer la partie plus tendre qui est juste en dessous. C’est le liber, appelé « pâte » dans le jargon, la partie utilisée pour les sangles. La partie souple de l’écorce, qui ne fait que quelques millimètres d’épaisseur et qui sépare le bois dur de l’écorce externe, plus rigide. C’est cette « pâte » qui fait de l’épicéa le conifère de choix pour cette activité, car il est le seul à offrir cette spécificitéIl permet également au fromage de se tenir, mais aussi et surtout de respirer et de lui donner un goût plus parfumé. 

photo geste metier bois

Les sangles sont réalisées sur mesure, en fonction de la demande du client. Leur longueur varie entre 34 et 75cm de long selon la taille du fromage. Pour les découper, le sanglier utilise un couteau à sangle, aussi appelé « cuillère », qui permet de couper de façon efficace des bandes de liber de la même largeur. La sève du bois provenant de l’écorce étant collante et handicapante pour le confort et l’efficacité de la coupe, les sangliers enduisent régulièrement cet outil dans dans l’huile pour éviter l’agglomération de cette sève sur les mains et l’outil. Lorsqu’il n’est pas utilisé, il est également enroulé dans un tissu imbibé d’huile pour ne pas sécher. 

Sapin de Noël de référence, l’épicéa est très réputé pour son bois, dans le milieu du fromage mais pas uniquement. Sanglés ou non, les bois partent ensuite en scierie pour être travaillés et livrés à différents clients qui l’utiliseront en bois de charpente, de menuiserie ou de chauffage. Les sangliers doivent alors intervenir avant le passage du camion qui viendra charger les troncs. Etant informés par les gardes forestiers de la présence de troncs disponibles, les sangliers n’ont pas toujours la visibilité du temps disponible avant le passage du camion et parlent alors de « sauver les bois » , avant que ceux-ci ne partent en scierie et ne soient plus sanglables.

L’épicéa, une espèce en voie de disparition.

 

Depuis 2018, la population d’épicéas dans la région, et en France de manière général, connait une forte décroissance à cause de la prolifération de scolytes, cet insecte volant qui se nourrit de leur écorce, causant bien souvent le dessèchement de l’arbre. Pour cause, le réchauffement climatique, qui favorise la reproduction de ces insectes pendant les fortes chaleurs, et réduit le taux de mortalité lors de périodes de grand froid, de plus en plus rare et de moins en moins intenses.

Elie, le plus jeune de la génération de sangliers chez les Salvi, joue carte sur table : « Je n’ai pas l’hypocrisie de dire que je suis un passionné. Sanglier c’est mon métier, c’est un métier difficile qui est très physique et qui nécessite souvent de travailler seul, dans le froid… Mais c’est une histoire de famille, mon grand-père a appris ce métier à mon père, qui me l’a appris ensuite. Je respecte cet apprentissage familial, c’est une belle transmission. Et c’est aussi un savoir-faire artisanal qui n’a jamais été industrialisé. Entre la taille de l’arbre, l’épaisseur de l’écorce, les noeuds, les branches, et la qualité du bois, il a trop de variables! Seul lartisanat et la main de l’homme peuvent sadapter. »

Reportages metiers sanglier artisan jura

Une fois les sangles réalisées en forêt, direction l’atelier.

Au fur et mesure que les sangles s’entassent, Elie les regroupent en ballotins et les ficellent pour les mettre à l’arrière de son pickup, avant de les ramener en fin de journée à ses parents. Une technique qui permet une optimisation du processus de travail et donc un gain de temps sur la production. 

Quelle que soit leur longueur, le prix des sangles est fixé au mètre linéaire. Avant de partir en cartons, les sangles doivent être calibrées pour faire exactement l’épaisseur demandée par le client, habituellement comprise entre 1 et 1,5mm. Une machine rotative utilisant une lame de cutter entre deux rouleaux métalliques vient alors avaler les sangles et les ajuster, permettant parfois d’en faire deux sur l’épaisseur d’une seule. Les bandes d’épicéa sont ensuite assemblées en conditionnements de 25, ficelées puis mesurées pour être coupées à la longueur exacte. 

La dernière étape avant livraison est celle du séchage, qui peut être effectué en extérieur et au soleil pendant l’été, mais le plus souvent dans four de séchage 4 à 5 fois plus rapide. Les racks de sangles sont alors enfournés à environ 40 degrés Celsius et passent de 85% d’humidité à 10% en 3-4 jours. Ce procédé de séchage permet d’éviter que la sangle ne moisisse, pour pouvoir mieux se conserver et peser moins lourd. Une fois arrivée chez les fromagers, les sangles sont plongées dans un bain d’eau bouillante et de saumure pour leur redonner leur flexibilité, et pouvoir être utilisées comme cerclages de nos fromages préférés.

Au delà du cerclage, l’épicéa est aussi utilisé pour faire des boites complètes de fromages, mais aussi pour les étagères sur lesquelles reposent les meules de comté et la quasi totalité des autres fromages vieillissant en caves. 

 

 

Publication sur Libération

Le reportage photo récemment réalisé dans le Jura sur ce métier de sanglier vient d’être diffusé sur Libération ce 6 Janvier 2022. Un grand merci à Laure Troussière pour sa confiance et son professionnalisme. 

Dans la même veine artisanale, retrouvez aussi les reportages sur l’artiste costumière Nawelle Ainèche, ou sur l’huile de noix du moulin familial de Claude Gendre.

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